Le Modèle oublié lu par Emmanuelle Rabu [éd. Laffont, 2019]
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  • Lecture d’Emmanuelle Rabu
    à propos du Modèle oublié, éditions Robert Laffont, avril 2019

    Le Modèle oublié [couverture]

    Le Modèle oublié vient de m’offrir une échappée belle vers un XIXème siècle bouillonnant de créativité. Je quitte à regret l’intimité partagée avec Gustave Courbet, Charles Baudelaire, Virginie et Émile Binet dont le nom perdu se réinscrit entre ces pages. Et même si l’époque invoquée, misogyne et politiquement instable, ne m’a pas semblé plus fréquentable que la nôtre, la biographie romancée met en valeur la saveur de la langue et la valse des sentiments qui ne prennent pas de rides.
    Dès l’ouverture, le cadre est posé et l’on s’y sent invité : on n’omettra pas de placer les chaussures sur « des patins de feutre », comme je le faisais au siècle dernier (hélas, je suis née en 19…), chez ma grand-mère. Je crois que ce sont ces détails intimistes et la tendresse dont l’auteur gratifie les « personnages » haut en couleur qui m’ont emportée dès les premières pages. Le style exigeant, tout en étant fluide, et le récit vivant, émaillé de dialogues, m’ont plu de suite.


    Je n’ai pas détesté Courbet, finalement, malgré l’inconséquence dont il a fait preuve envers sa compagne et leur fils. L’homme, jouisseur et hâbleur, semble bien de son temps, tandis que son inconscient d’artiste le devance. « Mon ego est sans égal », assène-t-il dès la page 42, donnant le ton au déroulé de sa vie. Il fallait qu’il en soit ainsi pour essuyer les rebuffades, l’insuccès, sans rebrousser chemin sur le sentier très incertain de l’art, jusqu’à livrer au monde, en 1866, son Origine incarnée à l’huile sur canevas. Si cette provocation « réaliste » continue d’exciter les esprits, elle ne fut pas la première ni la seule dans le cheminement artistique de Courbet, ce que rappelle Pierre Perrin. Mais n’en déplaise au peintre, il n’est pas cette fois, le centre de notre intérêt.
    Il ne faisait (fait) pas bon partager la vie des artistes, sauf à accepter de s’oublier et de veiller sans surveiller, semble-t-il. Abnégation ? « Vigie », belle et forte, si vivante sous la plume de l’auteur, me paraît davantage la victime de son époque que de l’égotisme de Courbet. Là encore, les portraits féminins diversifiés et l’évocation des rapports aux pères rappellent les empêchements faits aux femmes, dès lors qu’il s’agissait de vivre hors mariage, les choix restreints : ouvrière, lorette, cocotte, bonne-sœur, fille-mère, crève-la-faim… Quel tempérament il a fallu à Virginie Binet pour choisir de suivre sciemment un homme de dix ans son cadet, pour assouvir son désir de maternité, en dehors de la norme sociale. Pierre Perrin lui rend bel hommage : difficile de ne pas admirer ce « modèle » sorti de l’oubli !
    Pierre Perrin poète, romancier et critique littéraire, dirige la revue Possibles et collabore à une douzaine d’autres revues et périodiques.

    Emmanuelle Rabu, billet sur le Livre des visages 10 mai 2020

    Un bien beau livre (le texte mais aussi l’objet). J’ai plaisir à partager cette note de lecture, d’autant que les librairies rouvrent demain.

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